Profession caillouteur
par Alain FOUGEROUZE

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Comme tous les généalogistes amateurs j'ai trouvé au cours de mes recherches des ancêtres ou des collatéraux ayant des métiers surprenants, mais le jour où j'ai lu sur un acte qu'un de mes aïeux exerçait la profession de caillouteur je suis resté perplexe. Continuant mes recherches sur cette famille, dans les actes qui suivirent il était devenu tailleur de pierre à fusil, était-ce la même profession ou avait-il changé de métier ? J'en restais là, quand dernièrement une cousine généalogiste avec laquelle je partage cet aïeul me fit parvenir un petit opuscule sur les caillouteurs de Meusnes(1).

Cette profession qui s'arrêta au lendemain de la première guerre mondiale avait à son extinction plus de 450 ans d'existence. Si l'on se fie à la légende, tout commence vers 1550, quand des voyageurs font halte dans la paroisse de Couffy. Remarquant que des silex de qualité abondent, ils les ramassèrent à la sauvette, et se mirent aussitôt à les tailler au clair de lune. Les paysans ne tardèrent pas à surprendre leurs manigances, à les épier, à les regarder faire, enfin à les imiter. C'est ainsi qu'ils vont devenir les premiers caillouteurs du Berry et le bourg de Couffy le centre principal de cette activité. Il faut savoir que les environs regorgent de ce silex blond et translucide, dont la cassure lisse paraissait assez dure pour pétiller en franches étincelles, mais point trop pour ne pas endommager les platines des mousquets. A la pureté de la pierre s'ajoutait le tour de main des gens du pays ; rapidement le marché prit de l'importance.

La pierre blonde du Berry ne manqua pas de susciter des convoitises au-delà des frontières ; de nombreux espions vinrent s'enquérir. Peine perdue, nos caillouteurs n'entendaient point divulguer leurs secrets transmis de parents à enfants, mais aussi faute de silex adéquat dans les autres pays.

La géologie nous donne l'explication. La veine qui fit la renommée des pierres à feu du Berry, s'étire depuis la pointe du Danemark jusqu'au-delà du Poitou. Elle gît plus ou moins profondément, mais c'est dans les environs de Meusnes qu'elle se trouve à portée de pioche. Ici, son arrachage ne demande qu'un fouissement de dix à vingt mètres.

Ce travail fut toujours une occupation d'appoint, puisque le maigre salaire qu'on en retirait ne suffisait pas à nourrir une nichée. Les tailleurs de cailloux vivaient modestement car leurs puits ne se changèrent jamais en mine d'or. La plupart d'entre eux ne possédaient même pas une masure. Ils devaient d'ailleurs louer leur terre à cailloux et un droit de fouille coûtait bougrement plus cher qu'un simple bail de labour, ce qui les contraignait à s'associer. Les caillouteurs décapaient la surface du sol avant de foncer un entonnoir guère plus large que la margelle d'un puits. Ce crot plongeait ensuite en escalier, par décrochement de trois mètres environ jusqu'au gisement espéré. Cet étagement facilitait la remontée des matériaux et protégeait les mineurs d'éventuelles chutes de pierres. Le fouilleur conduisait un boyau horizontal dès qu'il touchait le filon. Ce travail s'accomplissait à la lueur d'une bougie. On fouillait à jeun, c'était la coutume, tôt en matinée l'été, par crainte de la chaleur. Les cailloux remontés au jour étaient partagés en lots au moment de quitter la mine et attribués à chacun des associés par tirage au sort.

De retour à la maison, les caillouteurs cachaient leur piètre trésor sous une niche de jonc pour éviter que les cailloux ne suent pas leur eau de carrière. Si la corvée d'avulsion ne fatiguait que les hommes, la taille des pierres à feu requérait en revanche la participation de la maisonnée entière, femme comme enfants. Une personne débitait près de deux mille pierres dans sa journée, à raison d'une cinquantaine par caillou. Le négoce se déroulait le samedi, par tradition. Les caillouteurs ensachaient leurs pierres dans des sachets de drap par jetées de cinq, et s'en allaient les proposer aux courtiers réunis sur la place des villages.

Les armées de la Révolution et de l'Empire n'acceptaient que le silex blond du Berry. La production devint telle que les voyageurs béaient d'étonnement devant les tas de débris qui dominaient les maisons. Ces monticules s'élevaient parfois à trois hauteurs d'homme sur une longueur de soixante-dix mètres. Mais ces résultats surprenants n'améliorèrent pourtant guère le sort quotidien des caillouteurs. On s'éreintait à la tâche sans jamais faire fortune. Les accidents se répétaient fréquemment. Les caves s'éboulaient souvent sur ses piocheurs et les ensevelissaient vivants. Et puis en plus les maladies ! L'humidité des galeries et les pénibles postures donnaient de terribles rhumatismes. Les hommes sortaient du crot, la chemise trempée de sueur, et une mauvaiseté leur détraquait bientôt la poitrine. On les voyait tousser, cracher, suffoquer ; un matin, on apprenait qu'ils étaient morts de tuberculose. A la taille c'est pour ses yeux que l'on tremblait. Un éclat avait tôt fait de vous éborgner. Et surtout, entre toutes ces misères on craignait la caillotte, la silicose des caillouteurs, une malédiction qui rongeait les poumons et qui laissait peu de chance aux caillouteurs de fêter la quarantaine.

Mon ancêtre Pierre DOLOIRE est mort à 25 ans. Son acte de décès ne dit pas s'il est mort enfoui dans sa mine ou d'une de ces maladies des caillouteurs. Mais sa postérité était assuré, il avait déjà au moins cinq enfants. Heureusement, sinon je ne serais pas là aujourd'hui pour vous conter ce dur métier.

Alain FOUGEROUZE


(Ce texte a largement été inspiré par le livre « Métiers Insolites » de Gérard BOUTET dont un chapitre évoque le métier de caillouteur.)

(1) Meusnes est une commune de 945 habitants, au sud du Loir-et-Cher, située entre Saint-Aignan et Selles-sur-Cher ; elle est à la limite avec le département de l'Indre.

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