CHAPITRE II

Sommaire

Réunion de la seigneurie de La Norville à celle de La Bretonnière. - La guerre de Cent Ans. - Jean le Breton et ses successeurs. - Querelles des Bourguignons et des Armagnacs.

La Bretonnière est une seigneurie fort ancienne. Si l'on s'en rapporte au cartulaire de Longpont, elle existait au commencement du XIIe siècle. A cette époque, un nommé Gautier de La Bretonnière, en prenant l'habit religieux, fit don à l'église de Longpont de la moitié de son patrimoine au fief de Voisins, près Brétigny(1).

Au milieu du XIIIe siècle vivait un nommé Jean, sire de La Bretonnière. C'est lui qui fut enterré au chapitre de Morigny, près d'Etampes. Au rapport de dom Fleureau, il était représenté sur sa tombe armé, l'épée au côté, l'écusson de ses armes sur la cuisse, burelé de dix pièces.

Sa veuve Blanche, par un acte passé à Montlhéry, le 18 décembre 1298, fonda l'église et chapelle de La Bretonnière, sous le vocable de saint Louis, en exécution d'un testament fait par son mari défunt. Le service divin devait y être célébré à perpétuité, et, pour la dotation du chapelain, le seigneur de La Bretonnière avait légué différentes pièces de terre, droitures et censives, en particulier 27 arpents de terre sur la paroisse de La Norville qui furent possédés par les curés de Saint-Germain jusque vers 1780(2). Blanche de La Bretonnière mourut en 1333, le 10 novembre, et fut enterrée à côté de son mari, dans le chapitre de l'abbaye de Morigny(3). Elle eut un fils nommé Philippe, probablement le père de Jean le Breton sous lequel la seigneurie de La Norville fut unie à celle de La Bretonnière.

Après la mort de Blanche de La Bretonnière, la funeste guerre de Cent ans, commencée en 1337 entre l'Angleterre et la France, étendit ses ravages dans nos contrées. Le roi Jean le Bon, après Philippe de Valois son père, avait quitté les douceurs du château de Chanteloup, près Saint-Germain-les-Châtres, pour la dure captivité des Anglais. Le roi de Navarre, l'ami d'Etienne Marcel et l'allié des ennemis de la France, chassé par les Parisiens en 1358, avait, en se retirant sur Melun, brûlé Châtres (Arpajon) et les environs. Le roi Edouard d'Angleterre en personne était venu mettre deux ans après le siège devant la même ville et l'avait prise. Ses soldats, campés depuis Chanteloup jusqu'à Corbeil, avaient mis le feu partout, ne pouvant exercer leur rage sur les habitants, qui s'étaient retirés dans les villes et dans les places fortes(4), lorsque l'onéreux traité de Brétigny vint, en 1360, donner un peu de repos à la France. Avec l'Aquitaine et ses dépendances, avec Calais et ses environs, Jean le Bon, fait prisonnier à la bataille de Poitiers, avait cédé aux Anglais trois millions d'écus d'or pour sa rançon. La France fit ce qu'elle put pour acquitter cette dette. La châtellenie de Montlhéry, dont La Norville et La Bretonnière faisaient partie, outre les tailles qu'elle acquittait, fournit en une année pour la rançon du roi la somme de 714 livres parisis 11 sols 10 deniers(5). Le numéraire fut épuisé et devint rare à ce point qu'on fut obligé, d'après l'historien Comines, de se servir d'une monnaie de cuir où il y avait seulement un petit clou d'argent.

Jean le Bon étant mort au mois d'août 1364, son fils Charles V lui succéda. Ce fut à ce prince, le 30 décembre 1366, que Jean le Breton, écuyer, rendit en ces termes un aveu et dénombrement de ce qu'il tenait à La Norville en fief du roi, à cause de son château de Montlhéry : Sachent tous que je Jean le Breton, escuyer, tienz en fief du roy notre sire, à cause de mon hôtel de Norville, les choses qui s'en suivent :
I° Ma maison de Norville sy comme elle se comporte;

Item. Environ 15 arpens de terre, séans en deux pièces, c'est assavoir : 8 arpens et demi séans au chemin de Marole et 6 arpens et demi séans vers Guibeville;

Item. Environ 5 quartiers de près à Toucheboeuf;

Item. Environ 6 livres 10 sols de cens payés le jour de la feste aux Mors;

Item. Quatre droitures et demi dues en la dite ville; toutes les quelles choses furent jadis feu Isabeau de Tigery.

Item. Un arpent de pré séans de lès les marais Pieriesne de chastres chevalier;

Item. 5 arpens de terre séans dessous le Rozay de La Norville;

Item. Environ 3 arpens séans en ce même lieu;

Item. Arpent et demi séans au-dessous dudit lieu;

Item. Environ 3 arpens séans en ce même lieu;

Item. 4 arpens séans au bout de La Norville;

Item. 2 arpens séans près le chemin évers Guibeville;

Item. 3 arpens séans au bout de La Norville, qui furent Dailier;

Item. Arpent et demi au bout de La Norville, sur la voye;

Item. 4 arpents séans entre La Norville et Guibeville, qui furent Triboulle;
II° Plus cinq arrière-fiefs tenus par diverses personnes à Voisins le Bretonneux. Et sy plus y avait dont je me puisse adviser, je l'adveu à tenir du roy notre sire; en tesmoimg de ce j'ay scellé ce présent adveu de mon propre scel, le 30° jour de décembre, l'an 1366
 (6).

Ce fut le même Jean le Breton qui fortifia l'hôtel de La Bretonnière. En 1370, les hostilités ayant été reprises entre la France et l'Angleterre, après la rupture du traité de Brétigny, le Général anglais Knole, débarqué à Calais, était venu jusqu'auprès de Paris, à Villejuif et à Bourg-en-Reine. Repoussé avec pertes, après avoir fait toutes sortes de dégâts aux environs, il passa dans nos contrées, livrant tout au pillage, et se retira sur Etampes pour entrer en Beauce. Harcelé par Duguesclin et Olivier de Clisson, il fut battu et son armée dispersée à Pontvillain, dans le Maine. Pour arriver à ce résultat, Charles V avait suivi une tactique autre que celle qui nous avait valu les défaites de Crécy et de Poitiers. Au lieu de compromettre son armée dans les grandes batailles, il avait laissé l'ennemi s'engager dans le pays. Attaqué sans cesse,  affaibli par la fatigue et les petits combats, celui-ci n'avait pas tardé à succomber. Mais auparavant il avait semé la désolation sur son passage. Les villes défendues et les châteaux forts avaient seuls pu servir d'asile aux malheureux habitants. La campagne avait été sacrifié et du haut des remparts de Paris, au rapport de Froissart, Charles V avait pu voir son royaume en feu à vingt lieues à la ronde.

Les seigneurs particuliers résolurent alors de se protéger contre de pareilles aventures. Ils fortifièrent leurs châteaux et armèrent leurs vassaux pour les défendre. Jean le Breton flanqua de cinq tours son château de La Bretonnière, le fit suivre d'un jardin assez vaste aux angles duquel il fit établir encore de fortes tours. Ainsi fortifié, ce château eut plus d'importance que celui de Châtres et que le manoir de Chanteloup(7).

Jean le Breton donna en 1378 au prieuré de Sainte-Catherine du Val des Ecoliers, à Paris, plusieurs pièces de bois qu'il avait au territoire de Marcoussis, vers Montlhéry(8). Il mourut en 1393 et fut inhumé dans l'église de Saint-Germain. Sa tombe, composée d'une simple pierre plate, est encore devant la grande porte, à l'intérieur de la vieille église. Elle porte l'effigie d'un chevalier armé de toutes pièces et cette inscription en vieux français, qui disparaît de plus en plus, usée par les pieds des passants :

Ici gist noble homme Jehan de La Bretonnière, dict le Breton, et ces celui qui fortifia l'oustel de la Bretonnière et trespassa l'an MCCCIIIIxx XIII (1393) le mercredi VIe jour de may. Dieu en ait l'àme. Amen (9).

Des successeurs immédiats de Jean le Breton on ne sait que peu de chose. L'un d'eux, son fils probablement, nommé aussi Jean le Breton, rendit un aveu et dénombrement de ses seigneuries devant la chambre des comptes, à cause de la prévôté et vicomté de Paris, le 2 mars de l'année 1404(10). Au compte de la même prévôté, au terme de la Toussaint 1415, un nommé Jean de La Bretonnière reçut 60 sols parisis sur la recette de Montlhéry, pour un muid de froment qu'il avait droit de prendre sur le marché cette ville. En 1418, le même compte annonce la mort de Jean de La Bretonnière en spécifiant que ses héritiers ne s'étaient pas présentés pour percevoir la somme qui leur était due(11).

Pendant la vie de ces seigneurs, depuis la mort de celui qui avait fortifié La Bretonnière, de graves et de tristes événements s'étaient accomplis aux environs de Paris, entre Montlhéry, Etampes et Dourdan. La Norville et La Bretonnière, situées entre ces villes, à une lieue à peine de Montlhéry, sur les bords de la grande route d'Orléans, avaient dû nécessairement en être les témoins et les victimes.

Charles VI étant tombé en démence pendant l'année 1392, le royaume de France fut en proie à tous les désordres que pouvaient alors causer les rivalités et les querelles des grands. Le duc de Bourgogne, oncle du roi, prétendit gouverner au nom de son neveu. Il eut un rival dans le duc d'Orléans, frère de Charles VI. Bientôt les princes et les seigneurs de France prirent parti : les uns pour le duc de Bourgogne, les autres pour le duc d'Orléans, et, au milieu des intrigues qui s'agitèrent, le peuple fut horriblement opprimé. Les partis toutefois n'en étaient pas encore venus à se déclarer ouvertement la guerre, lorsque, le duc de Bourgogne étant mort (1404), son fils Jean sans Peur fit assassiner à Paris le duc d'Orléans. Le fils de ce dernier, le duc de Berri, allié au comte d'Armagnac, prit alors les armes. Après avoir levé une armée dans le midi de la France et pris à sa solde un grand nombre de chevaliers bretons, il marcha contre le duc de Bourgogne, maître de Paris et de la personne du roi.

Il s'avança jusqu'à Montlhéry, par la grande route d'Orléans, sans rencontrer de résistance. La Cour fut effrayée; le roi, dans un intervalle de lucidité et par le conseil du duc de Bourgogne, lui envoya dans cette ville l'archevêque de Rheims, l'évêque de Beauvais, le comte de la Marche et le grand-maître de Rhodes pour traiter de la paix, mais on ne put rien conclure. Le duc de Berri, après ces pourparlers, quitta Montlhéry et s'avança jusqu'à Bicêtre. Devant de nouvelles démarches de la cour et du roi, il se montra moins intraitable et la paix fut conclue en 1410. Le duc de Berri se retira sur Dourdan et le duc de Bourgogne sur Meaux, accompagnés par les malédictions des habitants que le passage des troupes rebelles avait ruinés(12).

Le traité de Bicêtre fut bientôt rompu. En 1411, les hostilités recommencèrent; le duc de Berri marcha de nouveau sur Paris. Il surprit Montlhéry et manqua Corbeil. Au milieu de ces luttes intestines, la désolation la plus grande se répandit aux environs de Paris. Les troupes des deux partis, qui n'étaient point payées et que les chefs ne retenaient que par l'attrait du butin, se livraient à tous les excès. Un mémorial de la cour des comptes rapporte qu'en cette année 1411 la licence des gens de guerre fut telle, en dedans et en dehors de la capitale, qu'elle obligea une grande quantité des bourgeois à quitter la ville pour se retirer dans les bois ou dans les autres cités. Le peu de raisin qui était aux vignes, le peu de blé qui était resté dans les champs, le peu de foin qui était demeuré aux prairies ne put être recueilli, en cette année, qu'après la Saint-Martin(13).

Cependant, en 1412, la paix fut de nouveau conclue entre les deux partis. Le duc de Berri et les Armagnacs demeurèrent à Paris, maîtres du gouvernement et de la personne du roi. Le duc de Bourgogne se retira en Flandre (1413). Les Anglais avaient vu avec satisfaction ces luttes intestines affaiblir la France. La trêve conclue avec eux vers la fin du règne de Charles V et renouvelée en 1410 était expirée. Jugeant le moment favorable pour une nouvelle invasion, ils firent débarquer une armée près de Honfleur, en 1415. Les Français marchèrent à leur rencontre; mais, bien loin d'imiter les prudentes manœuvres de Duguesclin et d'Olivier de Clisson, ils suivirent les errements de Crécy et de Poitiers. Une armée anglaise, en grande partie anéantie par les fatigues d'une longue marche, mit dans une complète déroute l'armée française mal conduite, auprès du village d'Azincourt. Par suite de cette défaite, la France était ouverte aux Anglais.

Devant un si grand malheur, les inimitiés des princes auraient dû cesser. Il n'en fut rien. Le duc de Bourgogne, profitant du mécontentement que le duc de Berri et les Armagnacs excitaient dans Paris, par la dureté de leur gouvernement, leva une armée et marcha contre la capitale, en 1417. Cette ville résista. Dans l'espérance que ses partisans parviendraient à lui en ouvrir les  portes, Jean sans Peur se retira vers Montlhéry. Il entra facilement dans la ville, mais il fallut faire le siège du château qu'il parvint également à soumettre. Il s'empara en même temps du château de Marcoussis et fit subir le même sort à plusieurs châteaux et forteresses d'alentour. Il avait pris Etampes et faisait le siège de Corbeil lorsqu'il fut appelé à Tours, par la reine Isabeau de Bavière, femme de Charles VI, exilée de Paris, à cause de ses désordres. Le duc de Bourgogne laissa une garnison dans Montlhéry. Elle désolait par ses pillages toutes les campagnes environnantes et poussait même ses ravages jusqu'aux portes de la capitale. Les Parisiens ruinés firent entendre de vives plaintes. Le prévôt de cette ville Tannegui de Châtel se mit à leur tête et marcha, en 1418, contre les brigands de Montlhéry. Le château fut assiégé et pris, les Armagnacs chassèrent les Bourguignons; mais les habitants de Montlhéry et des environs gagnèrent peu à ce changement. Les nouveaux trouvaient le bien d'autrui tout aussi bon que les autres et, en changeant de garnison, la ville ne fit que changer de spoliateurs. Les troupes de Montlhéry, dit Charles VI lui-même, dans une de ses ordonnances, pillent, robbent, boutent feu sans épargner les églises et mettent même à mort ceux qu'elles savent être à nous (14).

Pendant ce temps, le duc de Bourgogne, qui avait fait alliance avec la reine Isabeau contre le roi, le dauphin, le duc de Berri et les Armagnacs, surprenait Paris et s'en rendait maître ainsi que de la personne de Charles VI. Il vint mettre alors le siège devant Montlhéry. Le dauphin, qui avait suivi le parti des Armagnacs, envoya Tannegui du Châtel au secours de cette place. Le siège fut levé et pendant une année encore la lutte se soutint entre les deux partis alors qu'Henri V d'Angleterre s'emparait de Rouen abandonné sans secours.

En 1419, le dauphin et Jean sans Peur firent la paix; mais, dans une entrevue qui eut lieu au pont de Montereau, les serviteurs du dauphin assassinèrent le duc de Bourgogne. Pour venger son père, Philippe le Bon, d'accord avec la reine Isabeau, fit une alliance avec les Anglais. Alors fut dressé à Arras, le 7 octobre 1419, et ratifié à Troyes, le 21 mai 1420, par le roi, la reine, et le duc de Bourgogne, en plein conseil, le traité qui déshéritait le dauphin et déclarait la couronne de France réunie à celle d'Angleterre après la mort de Charles VI. Les Anglais entrèrent dans Paris, le duc de Bourgogne leur livra les places qu'il occupait. Montlhéry ne leur fut rendu qu'en 1423 par le traité de Meulan et, à partir de cette époque, les étrangers furent presque sans conteste les maîtres de nos contrées jusqu'à la prise de Paris par Charles VII, en 1436.

(1) LEBOEUF.
(2) Ordonnance de Mgr de Beaumont, archevêque de Paris
(3) LEBOEUF.
(4) DELABARRE, Histoire de Corbeil.
(5) MALTE-BRUN, Histoire de Montlhéry.
(6) Archives du château de La Norville.
(7) L'abbé GAIGNARD, Histoire manuscrite de Saint-Germain.
(8) LEBOEUF.
(9) Mlle de VARREUX, Notes.
(10) Bibliothèque nationale, Manuscrits.
(11) Archives du château de La Norville.
(12) DANIEL, Histoire de France
(13) Id., ibid.
(14) Chronique de la Jeunesse. Notice sur Montlhéry. Année 1834, n°7.

(M.A.J. 19/08/2001)

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